Adam Ondra nous partage son expĂ©rience dans la façon de travailler une voie dure. Il prend notamment comme exemple concret son travail dans « Perfecto Mundo » 9b+. Le tchĂšque nous dĂ©crit sa tactique de travail dans la voie. Pourquoi avoir dĂ©cidĂ© de travailler des sections de la voie au lieu dâessayer de lâenchaĂźnement directement depuis le bas ? Est-ce une bonne idĂ©e de se strapper le bout des doigts pour prĂ©server sa peau ? Comment aborder les premiers essais que lâon fait dans une voie ?
Adam Ondra nous dévoile sa façon de faire:
« En travaillant une voie, vous apprenez Ă mieux la connaĂźtre. Votre corps et votre esprit savent parfaitement quoi faire, vous optimisez votre façon de grimper. La voie ne devient pas plus facile, les prises ne sont pas meilleures et la distance entre elles nâest pas plus courte, mais la connaissance de la voie est ce qui vous permet de la rendre possible. Ou pas.
Lorsquâune voie est trop difficile pour ĂȘtre grimpĂ©e Ă vue ou flash, je nâessaie gĂ©nĂ©ralement pas de monter le plus haut possible au premier essai. Ăvidemment, il est trĂšs difficile de savoir Ă lâavance si jâai une chance ou non de lâenchaĂźner immĂ©diatement, câest pourquoi je fais presque systĂ©matiquement un premier essai correct dans toutes les voies plus faciles que 9a, car en vrai, tout peut arriver.
Les spécificités de « Perfecto Mundo »
Dans le cas de « Perfecto Mundo », câĂ©tait cependant assez clair. Mon niveau est loin dâĂȘtre proche du 9b+ flash ou Ă vue. De plus, jâavais dĂ©jĂ grimpĂ© les 7 premiĂšres dĂ©gaines de « Perfecto Mundo » car cette section est partagĂ©e avec une voie appelĂ©e « Gancho Perfecto », que jâai enchaĂźnĂ©e en 2011. Donc mĂȘme si jâavais rĂ©ussi la voie lors de mon premier essai, cela nâaurait pas Ă©tĂ© un flash en raison de ma connaissance prĂ©alable de la premiĂšre section.
Lors de mes premiers essais, je passais gĂ©nĂ©ralement beaucoup de temps dans la voie, la plupart du temps en Ă©tant juste pendu Ă la corde, considĂ©rant toutes les sĂ©quences possibles. Parfois, cela nâa rien Ă voir avec un effort physique, câest plutĂŽt un travail de mĂ©ditation. Je ne me dĂ©cide pas vraiment instantanĂ©ment pour la premiĂšre mĂ©thode possible qui me vient Ă lâesprit et qui me semble faisable, jâessaie toujours de mâassurer que jâai envisagĂ© toutes les possibilitĂ©s avant de me lancer.

Une longue voie trÚs résistante
Mes deux premiers essais dans le Perfecto Mundo ont Ă©tĂ© excellents. Je nâai mĂȘme pas passĂ© beaucoup de temps Ă inspecter les prises, car jâavais les vidĂ©os dâAlex Megos, de Stefano Ghisolfi et de Jakob Schubert. Jâai essayĂ© la plupart de leurs mĂ©thodes et les mouvements mâont paru relativement « simples » lorsquâils sont faits individuellement. Comme câest le cas dans la plupart des voies, lorsque vous commencez Ă mettre des essais depuis le bas, mĂȘme les mouvements « simples » semblent soudainement tout Ă fait impossibles.
La raison pour laquelle on finit par enchaĂźner une voie est la mĂ©moire corporelle et lâamĂ©lioration de la fluiditĂ© de notre escalade. Vous ne devenez pas nĂ©cessairement plus fort en essayant la voie (câest dâailleurs souvent exactement le contraire), mais vous la maĂźtrisez parfaitement. Plus la voie est difficile, plus vous lâavez rĂ©glĂ©e dans les moindres dĂ©tails et plus vous avez besoin de temps et dâessais pour atteindre cet Ă©tat. « Perfecto Mundo » est une longue voie trĂšs rĂ©sistante Vous devez beaucoup grimper, avec peu de possibilitĂ©s de repos. La premiĂšre section vaut Ă peu prĂšs 9a en elle-mĂȘme. Et puis il y a ce crux bien distinct qui parait assez simple quand il est fait individuellement (je ne pense pas que le mouvement en lui-mĂȘme soit plus dur quâun pas de bloc en 7C), mais comme il exige beaucoup de puissance explosive, il devient vraiment dĂ©licat de le faire mĂȘme avec une lĂ©gĂšre fatigue.
Sâil y avait un mouvement de difficultĂ© similaire, mais nĂ©cessitant moins de puissance explosive et plus de puissance dans les doigts, il serait beaucoup plus facile de le faire car il est toujours plus facile dâavoir de la puissance dans les doigts en Ă©tant fatiguĂ© que de la puissance explosive brute. La partie supĂ©rieure ne vaut pas plus que 8b, mais avec la fatigue accumulĂ©e, il est encore assez facile de tomber Ă cet endroit.

© Petr Chodura
Ma tactique de travail
Ma tactique de travail peut paraĂźtre assez surprenante dans le cas de « Perfecto Mundo ». Je connaissais ce crux et je voulais mâassurer quâĂ chaque fois que je lâatteignais, jâavais de rĂ©elles chances de le passer. Si jâavais commencĂ© Ă mettre des essais depuis le bas dĂšs le premier jour, je serai arrivĂ© relativement facilement au crux, mais jâaurais alors Ă©tĂ© Ă des annĂ©es lumiĂšres de le rĂ©ussir.
Je me suis donc fixĂ© comme dĂ©fi dâessayer dâenchaĂźner la voie depuis un certain point. Le premier jour, jâai rĂ©ussi le crux Ă partir de la dĂ©gaine numĂ©ro 7 (le crux est situĂ© Ă la dĂ©gaine numĂ©ro 10). MĂȘme si je suis tombĂ© dans la section du haut (plus par erreur que par manque de puissance), jâĂ©tais confiant et je me suis dis que je pouvais commencer Ă enchaĂźner la voie depuis le point infĂ©rieur. Câest pourquoi, mon prochain objectif a Ă©tĂ© dâenchaĂźner la voie depuis la dĂ©gaine numĂ©ro 5. Je devais donc grimper jusquâĂ la cinquiĂšme dĂ©gaine, prendre un bon repos en restant pendu Ă la corde, puis commencer rĂ©el mon essai. Je pensais rĂ©ussir Ă faire cette liaison en seulement quelques jours, mais malheureusement, les mauvaises conditions sont arrivĂ©es et mĂȘme les mouvements les plus faciles mâont tout dâun coup semblĂ© trĂšs durs. Jâai continuĂ© Ă essayer pendant plusieurs jours malgrĂ© le mauvais temps, mais jâai fini par arrĂȘter et attendre patiemment que de meilleures conditions arrivent.

Est-ce une bonne solution de se strapper les doigts ?
Ce qui Ă©tait vraiment dĂ©licat Ă gĂ©rer en travaillant « Perfecto Mundo », câest la peau au bout de mes doigts. Jâaurais ADORĂ essayer le mouv du crux encore et encore, pour bien lâintĂ©grer, pour augmenter ma confiance en moi et pouvoir le rĂ©pĂ©ter plusieurs fois de suite, mais câĂ©tait tout simplement impossible. Une bonne peau et de trĂšs bonnes conditions mĂ©tĂ©orologiques vous permettent dâessayer ce seul mouvement (du mono Ă la pince) environ six fois par jour avant de saigner.
Sâouvrir le bout du doigt est ce que vous voulez absolument Ă©viter parce quâune fente sur cette partie du doigt met plusieurs jours Ă cicatriser, et ensuite elle devient fragile et peut se rouvrir rapidement. Grimper avec une bande de strap autour du doigt est une option, mais cela rend le mouvement beaucoup plus difficile. En fait, jâai eu lâimpression que tout le mouvement Ă©tait exĂ©cutĂ© dâune maniĂšre assez diffĂ©rente en ayant le doigt strappĂ©, ce qui ne permet pas vraiment de travailler la mĂ©moire corporelle. Ma tactique a donc Ă©tĂ© de ne pas mâouvrir le doigt sur ce mouvement. RĂ©sultat, ça a marchĂ©, mais je nâai pas vraiment travaillĂ© ce mouvement suffisamment.
En essayant la voie pendant de nombreux jours, je nâai cessĂ© de trouver de petits dĂ©tails qui rendaient la voie toujours un peu plus facile. Parfois, ces « dĂ©couvertes » semblaient faire une Ă©norme diffĂ©rence, mais aprĂšs un nouvel essai, je mâapercevais que faire ce mauvais coincement de genou ou utiliser cette minuscule prise intermĂ©diaire ne faisait que demander plus dâĂ©nergie. Mais jâai vraiment pris beaucoup de temps pour examiner si ma mĂ©thode Ă©tait parfaite et Ă©tait la plus efficace pour moi.
Une bonne raison de revenir
Lorsque de meilleures conditions sont arrivĂ©es (aprĂšs plus dâun mois passĂ© Ă Margalef), je me suis senti prĂȘt Ă sauter le « dĂ©part-de-la-5Ăšme-dĂ©gaine » et Ă commencer Ă mettre de vrais essais depuis le sol. Je me sentais si prĂšs du but, plusieurs fois jâai presque tenu la pince dans le crux, mais je tombais dans le mouvement juste aprĂšs. Plus lâautomne avançait, plus je me sentais fatiguĂ©. MalgrĂ© le fait que je connaissais la voie sur le bout des doigts et que je randonnais la partie du bas presque sans effort, jâai fini par Ă©chouer. Une bonne raison de revenir ! »