J’ai enfin pris le temps de regarder le documentaire Light qui traite des troubles alimentaires dans la grimpe. Comme pas mal de grimpeurs / grimpeuses, j’ai été, à petite échelle, touchée par ça et, pour être complètement honnête, je le suis toujours. C’est génial qu’il y ait enfin des personnes qui en parlent ouvertement parce qu’on a tendance à trop le cacher donc un grand merci @carolinelovesphotos et toutes les personnes qui ont rebondi sur le sujet. J’ai mis un peu de temps à me décider, à donner mon avis / expérience car je ne pense pas avoir un gros poblème, je n’estime pas être ou avoir été dans l’extrême. Mais il me semble tout de même qu’il y a quelque chose, en écrivant cet article je me suis bien rendue compte que tout n’était pas normal. Et tout témoignage peut aider.
C’est un sujet très délicat à aborder, mais je pense qu’il est primordial d’en parler. Parce que, si l’on ouvre un peu les yeux, on est plus nombreux qu’on ne le croit à le vivre de plus ou moins loin, que cela nous touche nous directement ou quelqu’un de notre entourage. On le sait tous, le principe de l’escalade c’est de soulever son corps. Donc évidemment c’est très dépendant de notre poids, ce n’est pas une surprise. Et malheureusement c’est un fait, se sentir léger(e) est une sensation de dingue, on se sent voler sur les prises, on a l’impression que rien ne peut nous arrêter, on se sent plus fort que jamais. Le constat est là, il ne faut pas se mentir, oui ça marche à court terme, je pense qu’on a tous fait cette expérience. MAIS ce n’est pas pour autant que perdre trop de poids soit la clé, MAIGRIR N’EST PAS LA SOLUTION. Fort heureusement, l’escalade ne se résume pas à ça et il y a des moyens beaucoup plus sains et safe de progresser : la technique, le mental, la force, la puissance, la souplesse, … et le fait de se sentir bien dans son corps, et dans sa tête. Je vous invite d’ailleurs à lire le post très pertinent de Caro Minvielle sur ce sujet.
Lorsque je faisais encore de la compétition, j’ai entendu beaucoup, beaucoup d’histoires dérangeantes : une athlète qui devait peser ses céréales le matin parce qu’elle n’était pas assez fine par rapport aux autres, l’interdiction de prendre les escaliers ou d’aller courir parce que cela muscle les jambes et pèse trop lourd, une athlète qui se faisait vomir en coupe du monde, une autre à qui on disait qu’elle ne serait jamais forte si elle ne perdait pas plusieurs kilos, … Qu’est ce qui est vrai, qu’est-ce qui ne l’est pas, je n’en sais rien. Mais il y a des questions à se poser.
Mon expérience personnelle en tant que compétitrice est beaucoup plus « soft ». J’ai juste souvenir qu’on nous disait que ce serait bien de perdre un peu de poids avant les échéances importantes. Cela peut paraître anodin et pas trop abusé mais, mine de rien, c’est une réflexion qui reste dans un coin de ta tête et qui s’ancre doucement dans ta manière de vivre : pour perfer c’est bien de maigrir. Quand tu as 16 ans tu ne te demandes pas si c’est normal ou pas, si c’est bien ou pas, tu le fais. Lorsqu’on allait au restaurant en équipe je me souviens d’ailleurs avoir eu honte de prendre des pâtes plutôt qu’une salade comme beaucoup d’autres, honte de commander un dessert. Et puis j’ai finalement fait l’expérience ultime. J’ai récemment retrouvé un carnet chez mes parents dans lequel j’écrivais tous les repas que je prenais à cette période, et parfois à côté il y avait un (V), qui signifait « vomi ». Cela n’a pas duré très longtemps, j’avais probablement entendu des histoires de grimpeurs forts qui faisaient ça et l’adolescente que j’étais a simplement voulu l’expérimenter. Caprice d’adolescente qui se cherche, influence du sport ? Je n’en sais rien, mais c’est quelque chose qui s’est passé et que je retiens.
Tout cela était à petite échelle pour moi, à mon époque de compétitrice. On ne m’a jamais dit que j’étais trop maigre, je n’ai pas atteint d’extrêmes comme certaines personnes ont pu ou peuvent le vivre. En vérité j’ai plutôt eu des périodes plus compliquées bien plus tard, après avoir arrêté les compétitions. Lorsque je me suis blessée à la cheville il y a un an j’ai eu le pire raisonnement : « je ne peux plus faire de sport, je vais grossir donc quand je pourrai reprendre l’escalade je n’arriverai plus à me soulever, je serai nulle. » Donc, au lieu de prendre soin de mon corps et de lui apporter l’énergie dont il avait besoin pour guérir, j’ai mal et beaucoup moins mangé. Résultat, évidemment j’étais très forte en tractions et suspensions sur la poutre (je n’ai d’ailleurs pas encore réussi à retrouver ce niveau) mais je n’avais aucune énergie, mes ligaments n’allaient pas bien, j’avais les traits tirés, le visage fatigué et triste, je dormais mal. Et j’avais les mêmes jambes qu’un flamant rose. A cette époque une personne très proche m’a écrit « Il me semble relativement urgent d’attirer ton attention et te faire réfléchir sur ton extrême minceur et ta mauvaise mine. Ton sourire ne cache pas ta pâleur. » Je n’avais pas perdu 10 kg non plus mais, étant d’une nature déjà plutôt fine, cela se remarquait beaucoup.
Ce raisonnement ce n’est pas la première fois que je l’ai eu, le fait est que je l’ai eu à chaque blessure ou à chaque fois que je ne grimpais pas pendant plus de 3 jours, pensant donc que j’allais régresser. Dans ces moments je me sentais mal si je faisais 3 repas par jour, je n’acceptais d’en faire que 2. Il me semble que je n’ai jamais complètement abusé mais j’ai fait beaucoup de yoyo avec mon poids, ce qui n’est pas très sain. Et avoir ce raisonnement, ce n’est définitivement pas normal. Oui, bien sûr que si j’arrête le sport je risque de prendre un peu de poids mais non, cela ne veut pas dire que je n’arriverai plus à grimper. Encore une fois l’escalade ne se résume pas à un poids, il y a d’autres moyens de ne pas perdre son niveau.
Aujourd’hui je suis à + 3-4 kg de mon poids de forme, + 6-7 kg de mon poids flamant rose de l’année dernière (et j’écris cet article en mangeant du chocolat à l’orange). En toute honnêteté je ne suis pas complètement à l’aise et je redoute évidemment le moment où je vais renfiler les chaussons et devoir me soulever. Parfois je me dis que je ne pourrai pas regrimper fort en étant comme ça et qu’il faut absolument que je m’affûte (le mot préféré du grimpeur). MAIS en même temps j’ai pris du muscle (et oui, effectivement les biceps et les quadriceps ça pèse lourd), en ce moment je fais entre 5 et 6h d’exercice par jour en centre de rééducation, les journées sont très intenses et mon corps tient merveilleusement bien le coup. Je me sens en PLEINE FORME et physiquement FORTE. Et je fais 3 repas complets par jour. Alors on verra bien ce que cela donne sur le rocher la semaine prochaine mais, ce qui est sûr, c’est que je ne compte pas m’affamer pour gagner 5 mouvements dans mon projet. Je le redis, il y a énormément d’autres angles pour progresser.
BREF, tout ça pour dire que le problème existe bel et bien, il faut en être conscient et être vigileant. Il ne touche heureusement pas tout le monde, loin de là, mais on peut le rencontrer chez tous types de grimpeurs : les jeunes, les moins jeunes, les femmes, les hommes, les débutants, les plus expérimentés, les pros, les grimpeurs de loisir, … Cela peut être sans conséquence mais cela peut aussi en avoir de désastreuses. Perdre un petit peu pour se sentir mieux dans sa grimpe peut être acceptable, perdre plusieurs kilos à chaque fois que l’on se sent moins fort ne l’est pas. Moi j’ai la chance d’avoir une mère géniale qui me pèse à chaque fois que je rentre à la maison (oui, même à 29 ans) pour contrôler tout ça et qui m’engueule dès que je suis trop maigre donc je m’en sors bien. Merci Mams <3
Et enfin je terminerai sur cette note, je vous conseille également de lire l’article d’Alizée Dufraisse qui aborde ce sujet sous un autre angle. Je la rejoins totalement sur ce point, comme je l’ai dit c’est un problème qui existe mais il ne concerne pas tout le monde. Certaines personnes sont minces de nature, on a tous un métabolisme différent et être très mince ne veut pas forcément dire que l’on a un problème. Donc ouvrons l’oeil sans pour autant abuser !
Le Documentaire « Light »