Il Ă©tait une voie â Once upon a line: Surveiller et punir
DerriĂšre tout passage d'escalade, il y a d'abord une ligne, mais aussi des grimpeurs qui l'ont faite naĂźtre. Plongez au cĆur de passages de lĂ©gende avec la rubrique "Il Ă©tait une voie", un Ă©tat civil de ces itinĂ©raires qui continuent de fasciner des gĂ©nĂ©rations et de façonner notre activitĂ© !
Behind every route there is a vision, and the climbers who made it reality. Dive into the history of legendary routes with the section âOnce upon a lineâ, a sort of âOriginsâ of these gems that keep on fascinating us generation after generation, and shaping our passion!


Surveiller et punir
Verdon, Provence, France
EscalĂšs, Jardin des Suisses
Marco Troussier, 1981
Marco Troussier, 1981
On ne devient pas « ouvreur » par hasard, il faut un peu dâambition, du temps libre et de la persĂ©vĂ©rance.
Avant le virage des annĂ©es quatre-vingts, alors que le « libre » repoussait les frontiĂšres de lâescalade sportive, le Verdon fut un Eldorado.
Au fil de mes visites assidues, jâavais apprĂ©hendĂ© lâĂ©tendue du domaine grimpable vierge et je songeais Ă quelques ouvertures.
Un jour, je sus quâune voie nouvelle : Frimes et chĂątiments, avait Ă©tĂ© Ă©quipĂ© depuis le haut (pour une partie), par un grimpeur. Claude Vigier avait eu du nez en colonisant une portion assez obscure et retirĂ©e de lâEscalĂšs, plus modeste par sa taille, mais pas moins raide ni moins belle que certains murs idĂ©alement placĂ©s aux abords des belvĂ©dĂšres. Cette portion de calcaire fut aussitĂŽt identifiĂ©e comme la dalle de : Frimes et chĂątiments (jeu de mot Ă©vident).
Le Verdon connaissait une notoriĂ©tĂ© retentissante. Y grimper Ă©tait un « must ». Equiper une voie dans ce temple relevait du « nec plus ultra » de la distinction aristocratique grimpante. Ce faisant, on entrait dans un cĂ©nacle restreint propre Ă satisfaire lâego que toute crĂ©ation, brillante et reconnue comme telle, procure.
Alors que la rĂ©volution de lâescalade sportive française faite de SPITS et de mĂ©thodes de « travail » des voies, avait « corrompue » lâĂ©thique anglo-saxonne, les irrĂ©ductibles amĂ©ricains tentaient dâendiguer les Ă©garements français par des anathĂšmes et des condamnations qui nous laissaient froid.
Lâaventure nâĂ©tait plus de tracer de nouveaux itinĂ©raires depuis le bas « by fair means », avec lâaudace des pionniers inconscients, mais simplement de jeter une corde, repĂ©rer les prises, espacer les points et tenter dâenchainer la longueur (ou plusieurs) en « bon style » ce que lâon appelle mĂȘme plus aujourdâhui : le « libre » et que lâon nâa jamais (sans doute Ă tort) appelĂ© lâescalade gymnique.
John Bachar, ultime porteur du flambeau dâune lignĂ©e de « pionniers » amĂ©ricains du « free climbing » et auteur de solos Ă©tourdissant dâaudace (impressionnant lors de son premier passage aux USA un certain Patrick Edlinger !), vint lui aussi tĂąter du calcaire, une matiĂšre presque inconnue de lui, avant de rĂ©aliser une tournĂ©e europĂ©enne, notamment avec Wolfgang GĂŒllich Ă qui il avait dĂ©montrĂ© ses propres mĂ©thodes dâentrainement (mais pas uniquement Ă lui). Rarement un seul grimpeur aura tant marquĂ© son Ă©poque, Ă lâinstar dâun Alex Honnold aujourdâhui.
Bachar, mĂȘme en France, ne pouvait se rĂ©soudre Ă pratiquer un jeu « dĂ©cadent », et plutĂŽt que de gravir les voies de haut en bas en utilisant les SPITS plantĂ©s dâune façon indigne Ă ses yeux, il prit le parti de grimper certaines voies (ou sortie de voies), depuis le haut en moulinette. La lĂ©gende prĂ©tend quâil gravit le BombĂ© de Pichenibulle de cette façon (premier 7b+, voire 7c !) et quâil jeta un peu aprĂšs, une corde dans ce qui deviendrait la mĂȘme annĂ©e « Surveiller et punir » sous les coups de mon tamponnoir. Que de bonheurs jâai connu pendu sur ma corde Ă supputer un itinĂ©raire dans un rocher si beau, si pur.
A peine quelques jours aprĂšs son parcours depuis le haut des quarante derniers mĂštres de ma future voie (sans dâailleurs savoir quâil lâavait gravi ainsi), je jetais une corde, puis deux, puis trois, pour crĂ©er un bel itinĂ©raire qui fut instantanĂ©ment une rĂ©fĂ©rence par sa beautĂ© et la qualitĂ© de sa grimpe sur un caillou parfait. IdĂ©alement placĂ©e au milieu de la dalle, elle devint rapidement une des voies les plus photographiĂ©e et filmĂ©e du Verdon.
Pourtant, la dalle de « Frimes » connu un succĂšs qui entraina sa chute. La patine de la plupart des itinĂ©raires y est impressionnante, il faut sâĂ©carter un peu sur sa droite pour rencontrer Ă nouveau du caillou agrĂ©able Ă grimper.
Surveiller et punir, câest aussi (et surtout), un livre phare de Michel Foucault. Il documente la naissance de la prison au 18 Ăšm siĂšcle et les nombreux bĂątiments (notamment inspirĂ© par le panopticon) qui permettent Ă un geĂŽlier, en plaçant le surveillant au centre dâun Ă©difice en Ă©toile, de surveiller en un clin dâĆil la silhouette de nombreux dĂ©tenus. Cette police du regard nâest pas sans rappelĂ© les derniers dĂ©veloppements de la reconnaissance faciale que les « big data » nous promettent, et dĂ©jĂ mis en Ćuvre par les dirigeants chinois.
Surveiller et punir (le livre), reste dâune totale actualitĂ©, on se plait Ă imaginer ce que Foucault aurait Ă©crit sur les dĂ©rives sĂ©curitaires actuelles et la constante dĂ©rive autoritaire de certaines « dĂ©mocratie ».
Surveiller et punir (la voie), nâest plus la belle classique que nous avons connue, dĂ©figurĂ©e par de trop nombreuses moulinettes.
Le livre mâest restĂ© en mĂ©moire comme une rĂ©fĂ©rence (surtout en ces temps de pandĂ©mie et de contrĂŽle social), la voie que jâai tracĂ©e un peu moins, surtout Ă cause de son usure, câest le sort de toutes les « classiques » que de mal vieillir.
NĂ©anmoins, je ne peux revenir dans les gorges sans aller observer les grimpeurs dans cette voie (la plus photographiĂ©e et filmĂ©e des gorges ?), avec la satisfaction un peu Ă©gotiste dâavoir tracĂ© une des plus belles voies du Verdon, qui sans aucun doute me survivra.
One doesnât become a âbolterâ by chance, some ambition is needed, free time and perseverance too.
Before the turn of the 80s, when climbing was pushing the limits of the âsportâ aspect, the Verdon was an eldorado.
In the course of my frequent visits, I had got an understanding of the extent of the climbable area, all virgin rock, and had thought about bolting some lines.
One day I found out that a new route, âFrimes et chĂątimentsâ, had been bolted from the top (a part of it) by someone. Claude Vigier had got it right by colonising a rather obscure and remote section of lâEscalĂšs, more modest in sheer size, but no less steep or beautiful than some of the ideally positioned walls near the access points. Straight away, this portion of limestone was identified as the âFrimes et chĂątiments slabâ.
The Verdon was going through its golden age. To climb there was a must. Bolting a line in this temple granted you the very top distinction among the climbing aristocracy. Thence, one entered into a small circle giving the satisfaction to oneâs ego that all creation, brilliant and seen as such, provides.
Whereas the revolution of French sport climbingâwith expansion bolts and the working of routesâhad âcorruptedâ British ethics, unimpressed Americans were trying to thwart the spreading of the French folly with expletives and condemnations that left us cold.
Adventure did not consist in opening new lines from the ground up and by fair means anymore, endowed with the spirit of heedless pioneers, but simply in throwing a rope down, checking out the holds, hammering in the bolts and trying to send the pitch (or pitches) in style, that is, in todayâs speak: to âfreeâ it, instead of calling it gymnic climbing (as we should have).
John Bachar, the last heir in a long line of US pioneers and responsible for outstanding solos (who made a lasting impression on Patrick Edlinger when he first visited America), also came to get his hands on limestone, a rock rather unknown to him, at the beginning of his European tourâincluding with Wolfgang GĂŒllich, with whom he had shared his training methods. Rarely has a single climber influenced his own era so much, like a Honnold today.
Even in France, Bachar would just not be drawn into playing a âdecadentâ game, and rather than climb using the in situ bolts, which hurt his sensibility, took it upon himself to top-rope the last pitch of some routes. Legend has it that he ascended the âBombĂ© de Pichenibulleâ this way (first 7b+, or even 7c!) after which he then threw a rope down what would later that year become âSurveiller et punirâ under my hammer. What untold joy I felt sitting in my harness, trying to fathom a line out of such beautiful and pure rock.
A few days only after his top-rope shenanigans in the top section of the 40m of my soon-to-be route (I was then unaware of his climbing in it) I threw a rope, then two, then three, to bolt a line that became an instant hit due to its beauty and the quality of its climbing on perfect rock. Ideally positioned in the middle of the face, it quickly turned into one of the most photographed routes in the Verdon.
Having said that, the âFrimes slabâ got too popular. Most lines are incredibly polished, and you have to move to the right to find decently climbable rock again.
âSurveiller et punirâ is also (mostly) a landmark book by philosopher Michel Foucault. In it, he documents the birth of the modern concept of prison in the 18th century, and all the buildings (inspired by the panopticon) that allow a supervisor, once he has placed a guard in the centre, to watch each and every prisoner in a flash. This watching police force may bring to mind the latest developments in facial recognition that the big data companies are promising, and which are already prevalent in China.
Surveiller et punir (the book) remains painfully contemporary, and one wonders what Foucault would have made of the current trends in âsecurity measuresâ and the authoritarian slant taken by some âdemocraciesâ.
âSurveiller et punirâ (the route) is no longer the beautiful classic that we have known, disfigured that she has become by endless top-roping.
The book has stayed with me as a reference (especially in our times of pandemic and social control), the line I bolted a bit less, due to its polish, but such is the fate of classics that they grow old disgracefully.
However, I cannot go back to the gorges without spending some time watching climbers in it, with the slightly selfish satisfaction of having bolted one of the prettiest Verdon lines, which no doubt will outlive its maker.
Photo: Marco Troussier
TĂ©moignage/Account: Marco Troussier


Lâarticle Il Ă©tait une voie â Once upon a line: Surveiller et punir est apparu en premier sur Fanatic Climbing.