Dimanche 24 avril, l’athlète Black Diamond Seb Bouin signe une performance incroyable et bouscule le monde de l’escalade. Ce grimpeur, qui fait partie de l’élite très fermée du haut niveau, réalise un exploit ultime en enchaînant « DNA ». Si Seb Bouin n’a pas encore fermement statué entre 9b+ et 9c, les arguments semblent pencher en faveur d’un 9c. Cette performance d’une difficulté hors normes serait alors le deuxième enchaînement mondial d’un 9c dans l’histoire de l’escalade.
Après de nombreuses croix majeures et à l’affût d’un nouveau challenge, Seb Bouin équipe cette voie située à la Ramirole (Verdon, France) en 2019. Rejoint-elle alors l’extrême difficulté et la cote ultime de « Silence » libérée par Adam Ondra à Flatanger (Norvège) ? Comment Seb est parvenu à accomplir une telle performance sportive ?
L’athlète nous raconte à chaud la réalisation de ce projet de longue haleine ; le choix de l’ouverture, des conditions, le tracé de la voie, ses sensations et enfin son estimation de la cotation.
« J’ai équipé cette voie durant l’été 2019. Après avoir réalisé la première ascension de « La rage d’Adam » (9b/+), je voulais un autre challenge, quelque chose d’encore plus dur. Je me suis dit qu’il me fallait une voie vraiment au-dessus de mon niveau pour que je puisse me dépasser. Une ligne qui me motive à y retourner encore et encore, quelque chose de beau, d’impressionnant, dans un endroit somptueux.
La Ramirole était l’endroit parfait pour ça. C’est une falaise qui est en condition une grande partie de l’année, pas loin de la maison. L’endroit est magique et donne envie de se dépasser. Je connais cette paroi par cœur, j’y grimpe depuis plus de 10 ans. S’il y avait un endroit pour se lancer un tel défi, c’était celui-là. En regardant bien le mur, j’ai vu qu’il y avait une ligne en plein milieu, dans l’immense baume, dans une partie avec très peu de prises.
Je me suis dit que je devais tenter, au risque que ça ne passe pas. Au premier contact avec le rocher, il y avait bien des prises mais je ne savais vraiment pas quoi en penser. Le dévers est tellement gros mais il fallait essayer. Les premières montées ont été laborieuses. Je ne comprenais rien. Ça me paraissait trop loin, trop dur, trop compliqué. Lors de la fin de saison 2019, j’ai commencé à trouver des méthodes et comprendre la ligne. »
Interview de Seb Bouin
Raconte-nous cette voie…
« La voie commence avec un 8c de 5 dégaines pour arriver à un repos. Ensuite il y a quelques mouvements moins durs pour rejoindre le premier pas de bloc en 8a. C’est un pas assez spécial, il faut jeter un pied droit comme sur les compétitions de bloc actuelles. Puis il faut se propulser sur une colo très éloignée. La condition physique ne permet pas de le réussir à tous les coups. C’est vraiment aléatoire.
Suite à cela, il y a le second pas de bloc de la voie en 8a+. C’est vraiment très physique, il faut tenir une pince main gauche pour aller chercher une inversée qui zippe souvent. Pour cette section il faut que « ça colle ». Les conditions météo jouent beaucoup.
À la sortie de ce crux il y a un repos qui permet de récupérer ses esprits avant de repartir pour une dernière bagarre dans un 8c+ final. »
2020 :
Travail de la voie durant 5 mois, de juillet à novembre.
2021 :
Travail de la voie durant 6 mois, de juillet à décembre.
2022 :
« J’ai fait un premier trip de 14 jours début Avril. Je suis ensuite rentrer m’entraîner une semaine, et je suis revenu pour un second trip. Je l’ai faite lors du 3ème jour du deuxième trip 2022. »
Comment s’est passé le jour de l’enchaînement ?
« 10°, du vent, un temps sec,… Les conditions parfaites. Cependant, je n’avais pas dormi de la nuit. J’étais stressé, et du coup fatigué. Mais on était là, et les bonnes conditions faisaient oublier la fatigue. Étonnamment, je me sentais léger, je volais sur les prises dans les voies d’échauffement.
Il y avait un truc. J’étais en forme, et avec les conditions incroyables, je le sentais, j’avais ma chance. Mais j’avais déjà eu tellement de fois ma chance, …
Départ dans la voie, je me sens voler, pas de fatigue, ça avance un peu tout seul sans réfléchir, comme un robot qui exécute la même tâche depuis des centaines de fois.
Arrivé au crux, ça colle, ça tient. Incroyable. Mais en même temps il faut rester lucide et ne pas tomber dans le dernier 8c+. »
Quelles étaient tes sensations ?
« Lorsque je me suis retrouvé en haut de la dernière partie dure, je ne comprenais pas bien, j’ai eu tellement de doutes, j’appréhendais les derniers mouvements par peur de tomber. C’était là, c’était fait. J’ai passé énormément de temps à exécuter les mêmes mouvements, à tomber des dizaines et dizaines de fois au même endroit. C’est dur de réaliser. »
J’ai passé plus de 150 jours et réalisé plus de 250 essais dans la voie.
À quel moment les conditions étaient-elles optimales ?
« Je suis venu en plein hiver, il faisait -11° le matin… Je cassais les stalactites avant de grimper… Je pensais que des températures très fraiches (0° à -5°) m’aideraient beaucoup à tenir cette pince main gauche dans le crux. Comme je n’ai pratiquement jamais l’onglet, je me suis dit que c’était une bonne idée que d’essayer cette voie en hiver.
Cependant j’avais sous-estimé deux choses. La première était l’effet global du froid sur le corps. Je me sentais tout engourdi, je bougeais moins bien et moins vite entre les prises. Je me sentais moins à l’aise. Et puis, c’était difficile de se reposer pour un deuxième essai. Comme il faisait très froid, je n’avais pas envie d’attendre, et donc souvent je ne me reposais pas assez entre deux tentatives.
Le deuxième effet insoupçonné est le changement rapide des conditions. Un matin tout est gelé, un autre tout est mouillé, puis il y a du vent, etc… Je ne savais pas si la voie allait être en conditions le jour d’après. Si tout était gelé, c’était bon, car l’eau ne coulait pas sur les colonnettes dans ce cas. Si ce n’était pas gelé, mais qu’il y avait du vent, alors c’était bon aussi. Mais si ça dégelait, sans vent, alors les prises étaient mouillées. Parfois les prises clefs étaient assez sèches et je pouvais essayer, parfois non. Bref, cela jouait assez fort sur le moral, c’était difficile de rester sur place sans savoir si la voie sera essayable le lendemain. »
Deuxième 9c au monde ?
« C’est la grande question. Il y a deux scénarios possibles, le 9b+ où le 9c.
Avant de me prononcer je vais peser le pour et le contre pour essayer d’avoir l’esprit le plus clair possible. Je vais prendre en compte différents paramètres pour tenter d’être le plus juste : les comparaisons avec d’autres voies, le temps passé et le style de grimpe.
Si je compare DNA avec d’autres voies que j’ai faite où que j’essaie, c’est vraiment un cran au-dessus. À côté de Move (9b/+) et Bibliographie (9b+), j’ai l’impression que cette voie est simplement plus dure. Le temps consacré à travailler la voie est aussi indicateur de la difficulté. DNA est clairement la voie où j’ai passé le plus de temps, entre 150 et 200 journées. En comparaison, il m’a fallut 40 journées dans Bibliographie, 40 journées également pour réussir Move, 25 pour Mamichula (9b) et 50 journées pour Beyond intégral (9b/+). Non seulement je passais du temps, mais je me préparais aussi physiquement à chaque fois en parallèle. Ce n’était pas juste aller à la falaise et essayer pour voir. Je venais avec la ferme intention d’être prêt. C’est la voie dans laquelle je me suis le plus investi.
Le dernier élément à prendre en compte est le style de grimpe. La Ramirole, c’est la falaise qui me convient le mieux, j’y grimpe régulièrement depuis plus de 10 ans. Le fait que DNA soit 100% mon style de grimpe est à prendre en compte dans la cotation. Par exemple, Bibliographie (Ceuse) me correspond moins avec des petites prises et peu de dévers, ce n’est pas mon point fort.
Donc si je prends en compte le fait que cette voie me convienne parfaitement, que j’y ai mis un investissement beaucoup plus grand que dans les autres voies, et que je ressens cette voie comme plus dure, le 9c semblerait approprié. Cependant, j’ai quand même de gros doutes. Est-ce que cette voie serait du même niveau que Silence ? Est-ce que je n’ai pas passé tout ce temps en partie à cause du processus de première ascension ?
Choisir 9b+ serait la sécurité. Depuis 2014 sur cette falaise je propose des cotations bien serrées et au final personne n’a encore répété une de ces voies. Je pense que si je propose 9b+, il y a peu de chance pour que quelqu’un vienne mettre l’investissement nécessaire pour cette voie. En France, j’ai réalisé plus de 20 premières ascensions entre le 9a et le 9b/+ qui n’ont jamais été répétées.
Choisir le 9c, c’est prendre un risque. Celui de voir sa voie décotée. Comme il n’y a qu’une proposition à 9c dans le monde, c’est assez dur d’être sûr et confiant. Je n’ai jamais essayé une voie de difficulté similaire. Il faut prendre le 9c comme une « proposition », qui a maintenant besoin d’autres grimpeurs pour donner leurs avis – afin de confirmer où d’ajuster.
C’est la manière dont sont construite les cotations : la somme des opinions rend la cotation de moins en moins subjective. Notre sport est magnifique, nous n’avons pas besoin de juges, nous sommes avons nous-même ce rôle. Être athlète et évaluer sa propre performance, c’est beau, mais en même temps difficile.
C’est pourquoi j’aimerais inviter d’autres grimpeurs à venir essayer DNA. C’est une voie magnifique, dans un lieu incroyable, pas trop excentré du reste du monde. Je pense que DNA a tous les atouts pour intéresser et plaire. »
Un projet à faible impact carbone
« Trouver et équiper un projet comme celui-là à côté de la maison est vraiment une solution d’avenir pour notre mode de fonctionnement. Pas d’avion, pas beaucoup de déplacements. Et une des lignes les plus belles au monde. »
Des lignes non répétées
« Depuis plus de 10 ans, je réalise des premières ascensions à cette falaise de la Ramirole, qui pour l’instant n’ont pas encore été répétées. Parmi les plus marquantes :
2014 : Pajarito 9a
2015 : A Muerte Bilou 9a
2016 : L’homme demain 9a+
2018 : La côte d’usure 9a+
2019 : La rage d’Adam 9b/+
2022 : DNA, 9c ? »
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